Le Fils de l’Homme

Les Apôtres de Jésus

I

À Jérusalem, les élus et ceux qui avaient suivi Jésus se réunissaient tous les jours, tantôt à un endroit, tantôt à un autre. Ils craignaient que les grands prêtres et les docteurs de la loi ne viennent troubler leurs réunions. C’est pourquoi ils convenaient, par des signes secrets, du lieu où ils devaient se retrouver le jour suivant, et l’un le disait à l’autre.

Un jour qu’ils étaient à nouveau rassemblés au grand complet, une violente tempête se leva sans qu’on eût vu au préalable le moindre signe de mauvais temps. Etonnés, tous levèrent les yeux. Le ciel était clair, il semblait même briller d’un éclat particulier. Cependant, le vent ne hurlait pas, on croyait plutôt entendre le mugissement de puissantes vagues déferler sur le rivage.

L’anxiété gagna le cœur des habitants de Jérusalem. Qu’allait-il se produire ? Beaucoup quittèrent leur maison pour se diriger vers un but bien précis. Ils se trouvèrent soudain en face des disciples, qui semblaient entourés d’une lumineuse clarté.

« Regardez donc, » s’écria une femme tout émue, « des langues de feu brillent sur leur tête ! »

D’autres personnes les virent également. L’agitation grandit.

« Nos petites flammes », dit Jean à voix basse et pour lui seul. Puis il regarda les autres disciples.

Tous portaient au front un signe lumineux qui semblait avoir la forme d’une croix.

Ils ressentaient la Force d’En-Haut que Jésus leur avait promise. Elle embrasait tout leur être, et ils furent contraints de parler et d’annoncer ce qui les comblait.

Chacun s’adressa à celui qui se trouvait le plus près de lui, quel que fût l’endroit d’où il venait. La Force qui se manifestait alors et qui pénétrait les esprits était si grande qu’on les comprenait, même si ceux qui les écoutaient parlaient d’autres langues.

Ils en prirent soudain conscience.

« Comment est-ce possible ? » s’écriaient-ils. « Nous entendons parler les gens et nous les comprenons, tout en ignorant leur langue ! »

Ils furent tous saisis d’une vive émotion. La plupart commençaient à croire à un miracle, et il s’en fallut de peu que le peuple entier se convertît à Jésus.

Mais il y avait parmi eux des docteurs de la loi et des pharisiens qui craignaient de perdre leur influence sur les hommes. Ils ne pouvaient pas tolérer une chose pareille. Bien qu’eux aussi aient vu les signes et que leur cœur ait été saisi d’effroi, ils prirent un air supérieur.

« Regardez donc ces hommes, et écoutez-les », s’écrièrent-ils. « Ils ont déjà bu du vin de grand matin. »

« Ce n’est pas vrai ! » répliquèrent quelques personnes parmi le peuple. « Ils sont aussi sobres que vous et nous ! »

« Alors c’est encore pire », fit remarquer un vieil érudit. « Dieu a perturbé leurs sens parce qu’ils ont toujours suivi Jésus de Nazareth ! »

La dispute fut houleuse et produisit l’effet désiré, car elle détourna une grande partie de l’assistance de ce grandiose événement.

Pierre grimpa alors sur une borne et leva spontanément la main, comme il l’avait si souvent vu faire à Jésus. Il se fit un profond silence. Tous regardaient celui qui n’avait encore jamais parlé lors d’une réunion publique.

Et Pierre dit :

« Hommes, chers frères ! Pourquoi vous étonnez-vous ? N’avez-vous pas lu ce qu’a annoncé le prophète Joël concernant la descente de l’Esprit de Dieu ? Vous, les docteurs de la loi, vous devez pourtant le savoir ! Et vous osez traîner dans la boue l’immense événement qui se déroule devant vos yeux ?

Que vous nous insultiez nous importe peu. Mais que vous, qui possédez et connaissez les prophéties, vous osiez induire le peuple en erreur pour qu’il demeure dans les ténèbres, voilà ce que vous ne pourrez justifier devant Dieu !

Dieu a envoyé Son Fils engendré en Lui, et qu’on appelle le Christ, pour apporter au monde la Lumière perdue et pour renouer l’alliance entre Dieu et l’humanité profondément déchue. Or, vous vous êtes emparés de Jésus et vous L’avez cloué à la croix bien que vous n’ayez pu trouver en Lui la moindre faute ! Rouge comme le sang, votre péché crie vers le ciel ! Vous vous êtes voués à la damnation, vous et votre peuple, par vos actes erronés. Mais ce Jésus que vous avez assassiné est ressuscité des morts ! Son âme est restée avec nous jusqu’au moment où, sous nos yeux, elle est remontée auprès du Père ! Croyez-vous pouvoir tuer la Vérité éternelle ? Victorieuse, elle se relèvera, même si vous voulez l’étouffer sans cesse par vos idées et vos actes erronés. En tant que signe, Dieu nous a envoyé aujourd’hui Sa Force pour que nous soyons Ses témoins sur la Terre ! »

Subjuguée, la foule écoutait. Ici et là, quelques docteurs de la loi s’éclipsèrent discrètement, mais la plupart d’entre eux restèrent silencieux parmi le peuple. Ils voulaient entendre ce que Pierre avait encore à dire. Qui aurait cru ce pêcheur inculte capable d’une telle éloquence ? Sa voix résonnait et vibrait tout autrement que celle d’un simple être humain.

Cependant, le peuple était saisi jusqu’au tréfonds de l’âme. Quelqu’un se détacha de la foule, leva les mains en suppliant et s’écria :

« Pierre, dis-nous ce que nous devons faire ! »

Alors Pierre reprit d’une voix forte :

« Faites pénitence et faites-vous baptiser au nom de Jésus-Christ, vous obtiendrez ainsi le pardon de vos péchés ! Vous aussi, vous pouvez bénéficier du don du Saint-Esprit, car la prophétie de Joël est valable pour le peuple d’Israël tout entier. Cependant, vous devez reconnaître au préalable que vous avez cheminé sur de fausses voies ; il faut également que la nostalgie de Dieu et de la Parole de Jésus devienne toute-puissante en vous. Si vous ressentez ensuite le besoin de Lui appartenir, nous vous baptiserons volontiers. »

Et les gens accoururent, confessèrent leurs péchés et demandèrent à être baptisés. C’est ainsi que, en plein centre de Jérusalem et sous les yeux des grands prêtres et des docteurs de la loi, plus de trois mille personnes furent baptisées au nom de Jésus. La joie et la félicité les comblaient tous.

Le lendemain matin, Jean et Pierre allèrent ensemble au Temple. Une discussion animée avait eu lieu la veille au soir parmi les disciples pour savoir si, après que la Force d’En-Haut les eut comblés, ils devaient continuer à se rendre au Temple. Ceux qui étaient de cet avis étaient aussi nombreux que ceux qui jugeaient la chose superflue.

« Qu’y ferions-nous ? » avaient dit ces derniers. « Nous savons que les enseignements des grands prêtres sont erronés. Devons-nous y enseigner nous-mêmes ? Cela ne nous est pas permis parce que nous sommes des gens simples et que nos origines sont différentes. Adorons Dieu en silence. »

Quant à Jean, il s’était opposé à cette façon de voir en insistant avec toute la force dont il était capable.

« Croyez-vous que Jésus soit allé au Temple le jour du sabbat pour Sa propre gloire ? » leur avait-il demandé. « Je crois qu’il l’a fait pour que le Nom de Dieu soit glorifié. Il voulait donner l’exemple, et nous devons suivre cet exemple. Si nous restons éloignés du Temple et des offices religieux, on ne manquera pas de dire : “Ils renient Dieu !” »

« Quel mal y aurait-il à cela ? » s’était hâté de rétorquer Jacques. « Il nous faut devenir indifférents à ce que les hommes disent de nous. »

« Assurément, si ce qu’ils disent est inexact », dit Jean en reprenant la parole. « Mais de même que Jésus a donné l’exemple, nous devons à notre tour être des exemples pour les autres. Tenons-nous-en à la loi afin de pouvoir toujours vibrer avec plus de perfection dans les éternelles Lois de Dieu. Le temps n’est plus éloigné où ce Temple sera détruit. Alors nous ne pourrons plus y adorer Dieu. Mais tant qu’il subsistera, agissons comme nos pères ! »

Tel un prophète, Jean se tenait devant eux, et ils pressentaient ce qu’il voulait leur dire. Ils pouvaient répandre la Parole de Jésus beaucoup plus facilement s’ils ne donnaient pas l’impression de ne plus croire en Dieu.

« Étant donné la faiblesse des humains, faisons ce que dit Jean », approuva Pierre.

Et la question fut réglée. Lorsque ces deux disciples étaient du même avis, ils pouvaient aisément guider les autres.

Tôt le matin, ils se rendirent donc au Temple, le cœur plein de tout ce qui s’était produit la veille. Ils se parlaient à peine.

Ils durent s’arrêter en voyant un malade assis à la plus belle entrée du Temple. Le contraste n’en était que plus frappant : devant cette luxueuse porte surchargée d’or se trouvait un mendiant en haillons, négligé, paralysé des mains et des pieds. Lorsqu’il demandait l’aumône, sa voix résonnait lamentablement.

Les deux disciples s’arrêtèrent et le regardèrent. Le désir de l’aider s’éveilla en eux et prit la forme d’une requête, d’une supplication.

Alors Pierre dit :

« Nous ne possédons ni or, ni argent, nous ne pouvons donc t’en donner. Cependant, nous t’offrons ce que nous avons. Par la Force de Dieu et au nom de Jésus, Son Fils, je te dis : lève-toi et marche ! »

Une secousse traversa alors le corps du paralysé et ses membres se raidirent. Bien qu’aucun des disciples ne l’eût touché, il avait pourtant ressenti le courant de Force qui émanait d’eux. Cet événement prodigieux le priva de l’usage de la parole ; il voulut remercier, mais il ne trouva pas un seul mot pour le faire.

Jean se tourna aimablement vers lui et lui dit :

« Ce n’est pas nous que tu dois remercier. Entre dans le Temple et offre ta reconnaissance à l’Eternel. Cela peut se faire sans paroles si tu ne sais pas exprimer ce qui émeut ton âme en ce moment. »

L’homme jusqu’alors paralysé entra avec eux dans le Temple. La joie et la gratitude montèrent si fortement en lui qu’il se mit à louer Dieu à haute voix. Le peuple et les prêtres le regardèrent et reconnurent celui qui, depuis des années, était resté couché devant le portail.

« N’est-ce pas là le paralytique ? Comment se fait-il qu’il puisse marcher à présent ? » Beaucoup posèrent cette question, et la nouvelle de ce qui était arrivé se propagea comme une traînée de poudre. Alors le peuple demanda aux disciples de dire qui leur avait donné une puissance pareille.

Pierre s’avança. Ce ne fut pas lui qui parla : les paroles d’un autre semblaient le pénétrer, et il ne put s’empêcher de penser à la promesse de Jésus selon laquelle, au moment opportun, les mots appropriés leur seraient donnés.

Il dit d’une voix forte :

« Vous vous étonnez que cet homme, que vous connaissiez tous comme le paralytique, puisse marcher ? Je vous le dis, des miracles plus nombreux et plus prodigieux encore se produiront dorénavant. Mais ce n’est pas par nous qu’ils s’accompliront, car la Force de Dieu et de Jésus, Son Fils engendré en Lui, afflue en nous et aide les hommes !

Le Fils de Dieu Jésus n’est autre que celui qui a cheminé parmi nous ici sur Terre. C’est par miséricorde que le Fils de Dieu est descendu pour apporter le salut à l’humanité. Mais vous L’avez tué, vous L’avez assassiné sur la croix ! »

Des lamentations se firent entendre. Pierre se tut un instant, puis il poursuivit :

« Vous avez agi par ignorance. Lorsqu’il était encore sur la croix, Jésus implora Dieu de vous accorder Son pardon. Mais, écoutez, l’heure de l’ignorance est révolue ! A présent, nous le proclamons à haute voix à travers la ville et le pays : Jésus est le Fils de Dieu, et vous L’avez assassiné, Lui qui ignorait tout péché ! Celui qui n’accueille pas ce témoignage, celui qui ne le laisse pas pénétrer en son âme, celui-là n’a pas droit au pardon de Dieu ; il reste coupable du crime commis sur la personne du Fils de Dieu ! »

Pierre se tut à nouveau pendant quelques instants. Les prêtres s’approchèrent alors de lui et de Jean. Depuis un certain temps, ils écoutaient ses paroles de mauvaise grâce. Ils étaient déjà contrariés qu’un miracle auquel ils n’avaient pas pris part se fût produit à la porte du Temple. Et voici qu’à présent les paroles enflammées de Pierre se faisaient entendre et représentaient une telle accusation contre les scribes et les prêtres qu’ils craignaient pour leur pouvoir. Ayant fait un signe aux serviteurs, ils firent emprisonner les disciples.

Le peuple fut chassé du Temple. On craignait en effet qu’il ne racontât ce qu’il venait d’entendre et de voir. Prêtres insensés ! Une fois dehors, les gens en parlèrent d’autant plus à ceux qui ignoraient ce qui s’était passé.

Une agitation extraordinaire s’empara des gens. Ils étaient désireux d’en apprendre davantage sur Jésus et, par petits groupes, ils allèrent trouver les autres disciples pour se faire instruire. Ce que les prêtres voulaient éviter fut précisément ce qui se produisit. Plus de cinq cents personnes se firent baptiser au nom de Jésus ; cependant, les prêtres n’en étaient pas encore informés.

Le lendemain matin, Caïphe avait convoqué le Grand Conseil. Tous les érudits et tous les prêtres de renom qui se trouvaient à ce moment-là à Jérusalem s’étaient réunis pour montrer à ces hommes illettrés ce qu’est la véritable érudition. Ceux-ci devaient être impressionnés par la puissance et la sagesse auxquelles ils allaient être confrontés. De plus, les docteurs de la loi étaient avides d’entendre ce que Jean et Pierre avaient à dire.

On amena les prisonniers. La surprise des assistants fut grande. Etaient-ce là de simples pêcheurs ? D’où leur venait ce comportement presque princier ? Ce fut à pas mesurés et de façon on ne peut plus digne qu’ils se présentèrent devant ceux qui les dévisageaient. Leur langage était irréprochable. Ils n’avaient pas vécu en vain pendant des années dans l’entourage immédiat du Fils de Dieu !

Les prêtres les assaillaient de questions sans leur laisser le temps de répondre. Chacun voulait savoir quelque chose d’autre, chacun formulait sa question sous une forme différente. Lorsque le flot déchaîné des questions s’apaisa, Pierre prit la parole. Il n’avait pas entendu une seule des questions posées, mais il s’était recueilli pendant tout ce temps en une prière fervente et silencieuse. Il sentit alors que la force dont il avait besoin lui était donnée, et il se mit à dire avec joie et d’une voix claire :

« Vous, les Anciens d’Israël, vous voyez l’homme qui était paralysé et vous vous étonnez de l’immense grâce qui lui est octroyée. Vous savez que des êtres humains ne peuvent réaliser cela par eux-mêmes, et pourtant vous fermez les yeux et les oreilles pour ne pas savoir quelle est la Force qui nous a permis d’agir. Si vous vouliez voir et entendre, vous sauriez que nous agissons dans la Force de Jésus, que vous appelez le Christ. Or, la Force de Jésus est la Force de Dieu, car Jésus est le Fils du Dieu vivant.

Lui seul est le Salut ; de plus, on ne trouve aujourd’hui sur Terre aucun autre nom que le sien qui puisse conférer aux hommes la félicité. »

D’un geste brusque, Caïphe interrompit le disciple. S’il continuait à parler ainsi, le peuple se convertirait et se détournerait des grands prêtres. Il fallait éviter cela à tout prix !

Il se concerta rapidement avec ceux qui étaient auprès de lui, et tous les membres du Grand Conseil quittèrent la salle pour délibérer en secret.

Les soldats s’étaient écartés des disciples. Libres et le cœur joyeux, Jean et Pierre se mêlèrent au peuple, en répondant aux questions et enseignant.

Quant au Grand Conseil, il décida de leur laisser à tous deux la liberté pour le moment. Leurs adeptes étaient déjà trop nombreux et le peuple entier pourrait se révolter si l’on s’attaquait à eux. Mais il fallait bien entendu leur interdire de parler et les intimider sérieusement !

Les érudits pénétrèrent à nouveau dans la salle avec beaucoup de dignité et invitèrent les deux disciples à comparaître devant eux.

« Nous voulons bien vous libérer », commença le grand prêtre, « si vous promettez de cesser dès aujourd’hui de répandre la nouvelle doctrine. Vous ne devez plus prononcer le nom de Jésus. »

« Nous ne pouvons promettre une chose pareille ! » s’écrièrent Jean et Pierre presque en même temps et, avec son calme habituel, Jean ajouta : « Réfléchissez, nous avons reçu notre savoir de Dieu avec mission de le répandre. Dans ces conditions, pouvons-nous vous obéir ? Ne devons-nous pas avant tout obéir à Dieu ? »

Les prêtres et les érudits ne trouvèrent rien à répondre à cela ; ce refus était venu de façon trop inattendue.

Quant à Pierre, qui s’était maîtrisé avec peine, il dit d’une voix presque étouffée :

« Nous ne pouvons pas nous abstenir de parler de ce que Dieu nous a offert ! »

Le peuple l’acclama : « Tu as raison, Pierre ! Tu dois parler ! Nous voulons t’entendre ! »

Alors Caïphe ordonna qu’on les conduise devant le Temple et qu’on les libère. Une fois libres, ils allèrent trouver les autres disciples pour les informer de ce qui leur était arrivé.

Ils entonnèrent ensemble un psaume de David à la louange et à la gloire de Dieu.

Ils s’entretiendraient plus tard de ce qu’il convenait qu’ils fassent désormais.

C’est alors que Jean s’aperçut que des larmes coulaient sur les joues de Thomas. Il lui demanda ce qui le chagrinait, et Thomas répondit :

« Dieu a sauvé Jean et Pierre, qui ont pu échapper à Caïphe. Je suis content pour eux qu’il en soit ainsi – je remercie sincèrement Dieu de Sa bonté – mais ne lui aurait-Il pas été facile de sauver Jésus ? Or, Il ne l’a pas fait. »

L’espace d’un instant, les disciples se turent, consternés par cette accusation inconsciente contre Dieu. Que devaient-ils répondre à Thomas ?

Jean finit par prendre calmement la parole en expliquant que la présence de Jésus avait donné l’occasion aux êtres humains de décider de la voie à suivre : ou bien ils accueillaient Sa Parole, et donc Sa personne, ou bien ils Le rejetaient et, dans ce cas, ils devaient aller jusqu’au bout de leur action criminelle.

Évidemment, il aurait été possible à Dieu d’envoyer des anges pour libérer Jésus. Mais II aurait ainsi aboli Ses propres Lois. L’humanité devait semer ce qu’elle avait en elle pour récolter ensuite ce qu’elle avait semé.

Tous ne comprenaient pas les choses aussi clairement que Jean qui, à cette occasion, se rendit compte de la difficulté d’annoncer les grandes vérités de façon telle que les hommes puissent les saisir.

Mais les disciples se consolèrent et se regroupèrent encore plus étroitement autour de Jean et de Pierre. Dans les premiers temps qui suivirent la descente de la Force prodigieuse, ils vibrèrent ensemble comme s’ils ne faisaient qu’un.

II

Des années plus tard. Le voyage des prisonniers se déroulait sans incidents. Le commandant en second faisait accoster le navire partout où Paul comptait des adeptes, de sorte que l’apôtre pouvait saluer ceux qui partageaient sa croyance et se reposer auprès d’eux. Festus avait donné des ordres pour qu’il en soit ainsi, et Julius s’en réjouissait, car il tenait Paul en haute estime. Il savait encore peu de choses du nouvel enseignement, mais il espérait avoir le temps et suffisamment d’occasions de se faire initier pendant la longue traversée.

C’est ainsi qu’ils avaient vogué jusqu’à Myra, port où il était prévu qu’ils quittent le bateau : un beau navire marchand devant transporter des marchandises d’Alexandrie à Rome y était déjà ancré. C’était ce navire que Julius et les prisonniers devaient emprunter.

Les adieux à l’ancien équipage furent cordiaux. Tous aimaient Paul et avaient volontiers écouté ses paroles, mais ils se réjouissaient également de pouvoir se trouver en sécurité dans leur port d’attache avant les tempêtes d’hiver.

Des vents peu favorables soufflaient tantôt du sud, tantôt du nord. Le nouveau bâtiment était plus grand et pourrait mieux résister aux intempéries.

Plus de deux cents personnes se trouvaient déjà à bord lorsque Julius y monta avec son petit groupe. On mit à leur disposition une salle commune où ils pouvaient se réunir ; après cela, personne ne se soucia plus d’eux. Chacun était entièrement pris par sa tâche journalière ou s’occupait de sa propre personne.

L’île de Crête, dont Paul avait déjà si souvent entendu parler, était en vue. Il aurait aimé la voir de plus près. Mais, ayant appris entre-temps qu’il faisait lui aussi partie des prisonniers, le capitaine lui défendit de quitter le navire. On chargea et on déchargea en toute hâte, car le vent était menaçant. Il fallait gagner la haute mer au plus vite ; on se hâta donc de lever l’ancre.

Mais le vent devint tempête, et la tempête se transforma en ouragan. Au comble de l’agitation, l’équipage courait de-ci, de-là sur le navire ballotté par les flots. Ils se rendaient compte que leur bateau n’obéissait plus à ceux qui le dirigeaient. Et tous furent saisis d’une grande frayeur. Que deviendraient-ils s’il était endommagé ?

Superstitieusement, ils regardaient l’endroit où les prisonniers, paisiblement assis autour de Paul, écoutaient ses paroles avec autant de calme que s’il n’y avait eu ni ouragan ni danger. Des jours s’écoulèrent ainsi. Puis, une nuit, Paul entendit une voix d’En-Haut lui annoncer que le bateau allait faire naufrage et sombrer ; quant à lui, il serait sauvé, car il devait témoigner pour Dieu à Rome devant l’empereur.

Alors Paul supplia Dieu avec ferveur pour qu’il eût aussi pitié des autres et ne les laissât pas périr dans les flots.

Le lendemain matin, tandis que les prisonniers étaient en train de prier, on les appela sur le pont. Le responsable du navire leur ordonna de jeter toute la cargaison par-dessus bord pour que le bâtiment fût plus facile à gouverner. Julius, le commandant en second, était à côté de Paul et il les aida. Pendant ce travail, les hommes se lançaient parfois une parole d’encouragement qu’ils captaient malgré le grondement des vagues.

Juste au moment où le capitaine passait, Paul dit :

« Le navire va certainement sombrer, mais tous ceux qui s’y trouvent seront sauvés. »

Ce dernier posa la main sur l’épaule de l’apôtre, l’obligeant par là à se retourner et à lever les yeux :

« Mon ami, répète ce que tu viens de dire. »

Paul s’exécuta, aussi sereinement que s’il se trouvait sur la terre ferme. Un calme absolu émanait de sa personne.

« D’où te vient cette certitude ? » demanda le responsable du navire, frappé par tant d’impassibilité.

« Dieu me l’a fait annoncer », répondit Paul, tout en continuant à jeter des marchandises par-dessus bord.

Cela ne plut guère au capitaine. Il voulait s’entretenir sérieusement avec cet homme si différent de tous ceux qu’il connaissait.

Il fit signe à Paul et à Julius de l’accompagner, et il les conduisit dans un endroit protégé du vent où ils ne seraient pas dérangés dans leurs conversations. Paul parla du message qu’il avait reçu. A aucun moment, ils ne doutèrent de la véracité de ses paroles. Toute sa manière d’être était si simple et si sincère qu’ils ne pouvaient que le croire ; ce faisant, ils finirent par reconnaître sa personnalité. En vérité, cet homme était à même de les secourir dans leur détresse ! Ils le prièrent de leur dire ce qu’ils pouvaient faire pour sauver la vie de près de trois cents personnes. Et Paul leur conseilla de veiller à ce que tous aient assez à manger.

« Vous ne pourrez sauver vos vivres si le navire sombre », dit l’apôtre. « C’est pourquoi il est préférable que tous mangent à leur faim le plus vite possible. Et si le navire ne sombre pas encore, nous pourrons aborder dans un port et racheter d’autres vivres. »

L’idée plut au responsable du navire qui décida de la mettre à exécution. Quant à Paul, il prit le pain, le bénit, remercia Dieu, et ce n’est qu’ensuite qu’il le fit distribuer. Les étrangers le regardèrent avec surprise. Ils n’avaient encore jamais vu cela. Ils offraient des sacrifices à leurs dieux, mais ils n’avaient pas cru possible que l’on pût parler aussi simplement à l’Être suprême.

Toutefois, ce geste leur plut et un certain nombre d’entre eux décidèrent d’en apprendre davantage sur le Dieu de Paul s’ils étaient sauvés. Ce Dieu devait être très puissant pour que Paul et ses compagnons restent tellement confiants à l’heure de la détresse.

Après avoir mangé, ils recommencèrent à jeter la cargaison par-dessus bord. Cependant, le bâtiment était devenu incontrôlable. Au loin, ils virent la côte vers laquelle ils étaient poussés. Ils savaient que de nombreux récifs se trouvaient à cet endroit et représentaient un immense danger. Ils demandèrent alors à Paul d’implorer son Dieu de les sauver de cette détresse. Mais Paul secoua la tête et dit avec bienveillance : « Dieu m’a fait savoir que le navire sombrerait…»

Des plaintes et des lamentations l’interrompirent. On entendit des exclamations telles que : « Un si bon navire ! » ou « Qu’allons-nous devenir ? » Mais il leur fit signe de se taire et continua :

« Cependant, Dieu m’a fait également savoir que tous ceux qui se trouvent à bord seraient sauvés ! Préparez-vous donc à quitter le navire sous peu. Ceux qui savent nager doivent se fier à la force de leurs bras et à la protection de Dieu. Quant aux autres, qu’ils cherchent dès maintenant des poutres ou des tonneaux vides auxquels ils pourront s’accrocher le moment venu. »

L’un des matelots demanda alors s’il ne serait pas indiqué de tuer les prisonniers ; sinon, ils pourraient se sauver à la nage. Julius, qui avait entendu cette question, ordonna sèchement au matelot de se taire. Ils étaient tous en danger : heureux celui qui réussirait à se sauver ! Tandis qu’ils parlaient, ils n’avaient pas remarqué qu’ils étaient rapidement poussés vers la côte ; soudain, le bateau subit un choc formidable et se fendit en deux. Les vagues écumantes se jetèrent par-dessus le bordage, emportant les hommes avec elles, mais ils se conformèrent aux paroles de Paul et furent tous sauvés.

Trempés, ils se trouvaient sur le rivage au milieu des récifs, sautant inlassablement dans les flots pour tendre une main secourable à ceux qui arrivaient encore et les tirer jusqu’à la terre ferme.

Paul fit ramasser des branches mortes pour faire du feu ; sa lueur fut aperçue depuis le bourg le plus proche, elle attira les habitants qui voulaient voir ceux qui avaient accosté durant cette tempête.

En apercevant la foule des naufragés, certains retournèrent chez eux pour aller chercher des vivres et des vêtements. Les autres aidèrent à entretenir le feu.

Et tandis que Paul se baissait une fois de plus pour ramasser des branches mortes, une vipère sortit de son repaire où elle s’était abritée de la pluie.

Un cri strident rendit Paul attentif à l’animal. Il était cependant trop tard : il avait déjà été mordu.

« C’est la plus dangereuse des vipères ! » s’écrièrent les gens. « Contre sa morsure, il n’y a aucun remède ; même la cautérisation ne sert à rien ! »

« Cet homme va mourir d’un instant à l’autre ! » hurlèrent d’autres personnes. Et une femme dit :

« Comme il a dû être coupable envers les dieux si, à peine sauvé des flots, il doit mourir d’une morsure de serpent ! »

Mais Paul ne prêta aucune attention à leurs paroles. D’un geste rapide de la main, il lança l’animal dans le feu et continua à y jeter des branches mortes. Tous les yeux étaient fixés sur lui dans l’attente de ce qui allait se passer. Et lorsque plusieurs habitants de l’île revinrent avec des vivres, on les informa en chuchotant de ce qui s’était produit. Ils jetèrent leur fardeau à terre et se regroupèrent auprès des autres.

Puis Timothée demanda :

« Lève la main bien haut, Paul, pour que tous puissent la voir ! »

Paul s’exécuta et, à ce moment-là seulement, il se rendit compte du danger qu’il encourait.

Tous les regards étaient fixés sur sa main : maintenant, elle allait enfler et changer de couleur ! Rien de tout cela ne se produisit. Lorsque son bras commença à se fatiguer, Paul le laissa retomber et se remit à jeter du bois mort dans le feu.

Alors, une immense allégresse se manifesta. Quelques-uns de ceux qui avaient assisté à la scène s’exclamèrent : « Il a un pouvoir sur les animaux ! »

D’autres crièrent à leur tour : « C’est un dieu, rien ne peut donc le toucher ! Il a été sauvé des flots avec tous ceux qui étaient avec lui, et maintenant, cette morsure elle non plus ne lui a fait aucun mal ! »

Paul les laissa s’exclamer ainsi afin de leur permettre de retrouver leur calme. Puis, leur ayant imposé silence, il monta sur un rocher peu élevé et se mit à parler. Le mugissement du vent s’apaisa, si bien que tous purent l’entendre distinctement.

« Je suis un être humain comme vous tous », dit-il en les regardant avec bienveillance. « Mais je crois en Dieu dont la puissance est incommensurable ; Il a promis de protéger tout spécialement ceux qui croient en Lui. »

Etonnée, la foule écoutait, puis tous voulurent en entendre davantage sur Dieu. C’était bien ce que Paul avait espéré, et il commença avec joie à leur parler de Dieu.

Ensuite, les habitants de l’île invitèrent Paul et les siens à venir chez eux. Pour les autres, on construirait des cabanes entre les falaises afin qu’ils puissent y passer l’hiver. Cette décision contenta tout le monde.

Paul, Timothée, Julius et le capitaine du navire accompagnèrent le responsable de l’île de Melita dans sa propriété où il comptait les héberger. Il raconta en cours de route que son père était depuis longtemps gravement malade et qu’il mourrait sans doute bientôt. Il pria donc Paul de parler également de Dieu au malade.

En entrant dans la maison de Publius, Paul alla immédiatement voir le vieillard qu’il trouva très mal. Il lui mit la main sur le front, puis sur le cœur et pria Dieu de rendre la santé à cet homme comme nouvelle preuve de Sa Toute-Puissance.

Et Dieu bénit la main de Paul. Le malade sombra dans un sommeil réparateur dont il se réveilla guéri le lendemain.

Paul prêchait à présent tous les jours dans le temple d’Apollon qui était érigé au centre de l’île. Il parlait de Dieu et de Jésus, et le nombre de ceux qui venaient l’écouter allait croissant de jour en jour. Les prisonniers et Julius ne tardèrent pas à se faire baptiser. Puis Publius demanda à son tour à être baptisé avec tous les gens de sa maison ; la plupart des habitants de l’île suivirent son exemple.

Parmi les naufragés en faveur desquels Paul était intervenu auprès de Dieu dans sa prière, en pensant qu’il pourrait les conduire à la vraie croyance, seuls quelques-uns vinrent au temple, et même ce petit nombre ne songea pas à se faire baptiser. Tous les matins, Paul descendait sur le rivage et parlait avec eux. Il exhortait ces hommes à remercier Dieu de les avoir sauvés ; il leur demandait de changer de vie. De cette façon, il n’en gagna que fort peu ; les autres se moquèrent de lui et le narguèrent.

« Seigneur, » implora-t-il, « ai-je mal agi en Te demandant de garder ces hommes en vie ? Ils sont devenus des blasphémateurs et des scélérats, alors que je croyais pouvoir sauver leur âme ! »

Nuit après nuit, il pria Dieu ; tous les jours, il parla à ces êtres endurcis. Rien n’y fit. C’est alors qu’une nuit il lui sembla entendre une voix venue de très loin lui dire :

« Paul, à quoi bon t’inquiéter de savoir si tu as mal agi ? Chaque être humain possède le libre arbitre et doit décider lui-même du chemin qu’il veut suivre. Personne n’est contraint au salut. Dieu a préservé ces hommes pour qu’ils puissent sauver leur âme. Laisse-les dorénavant. Une fois qu’ils seront obligés de se passer de ta parole, l’un ou l’autre reviendra peut-être à de meilleurs sentiments ; sinon, qu’ils périssent dans leur obstination ! »

Alors Paul fut apaisé et il renonça à ses promenades journalières au bord de la mer. Mais les naufragés étaient habitués à ce que l’apôtre leur parlât tous les jours. Il leur manquait, et ils attendirent pour voir s’il reviendrait ; puis certains commencèrent à se rendre au temple. En y voyant réunie cette communauté recueillie, leur âme fut touchée. Ils vinrent régulièrement et se firent baptiser.

Et voici qu’une nouvelle tempête se déchaîna.

Un matin, pendant l’heure de recueillement qui avait lieu au temple, un immense raz de marée submergea le rivage entier. Lorsque les flots se retirèrent, on ne trouva plus un seul railleur.

Cela fit grande impression sur la communauté. Quiconque n’était pas encore baptisé demanda le baptême d’un cœur sincère. Dans toute l’île de Melita, il n’y eut plus un être humain qui ne fût chrétien.

III

Parmi les onze disciples qui avaient jadis entouré Jésus, seuls quelques-uns vivaient encore. Jean et Marie, la sœur de Lazare, étaient particulièrement indispensables et irremplaçables au sein de la communauté de Jérusalem.

Extérieurement, Jacques, le frère de Jésus, dirigeait les chrétiens, comme on les appelait à présent aussi à Jérusalem, et il le faisait avec zèle et fierté. Mais il savait que tous allaient voir Jean ou Marie s’il fallait aplanir une difficulté ou prendre une décision.

« Ce sont eux qui ont le mieux connu le Maître », disait-on à chaque fois, et Jacques s’inclinait devant ces paroles.

Jérusalem était devenue trop bruyante pour Jean. Il se sentait trop vieux. C’est ainsi que, avec le consentement des disciples, il était parti habiter à Béthanie chez Marie et Phrygée. Le quatrième du groupe était un médecin romain nommé Luc ; baptisé depuis des années, il était devenu profondément croyant. Il avait une plume adroite et s’efforçait de mettre par écrit tout ce qu’il apprenait ici et là au sujet de Jésus. Il n’avait assisté à aucun des événements et devait en tout se fier à ce que disait autrui. C’est pourquoi il était bon qu’il pût lire à ses amis ce qu’il écrivait.

Ils essayèrent de remédier à la confusion de ses notes. Ce n’était pas toujours aisé : certains récits, qui plaisaient tout particulièrement à Luc, car ils faisaient clairement ressortir la Force miraculeuse de Jésus, étaient inventés de toutes pièces. Jean et Marie, qui en étaient horrifiés, insistèrent auprès de lui pour qu’il les supprimât. Mais il ne s’en sépara qu’à contrecœur. C’est ainsi que naquirent maintes divergences d’opinion mais, toujours débattues dans un esprit fraternel, elles ne laissaient aucune amertume.

Un soir, Luc rentra de ses visites aux malades et aux mourants, entièrement pénétré de ce qu’il venait d’entendre. Partout où il allait, il interrogeait les gens au sujet de Jésus. C’était là un fait connu, et tous s’empressaient de lui raconter ce qu’ils savaient, même s’il ne demandait rien.

Ce jour-là, une vieille femme alitée s’était plainte en lui disant que si Jésus avait encore été en vie, Il l’aurait guérie. Il avait rendu la santé à tous les malades. Elle le tenait de sa mère, que Jésus avait également guérie.

Lorsqu’elle s’aperçut que Luc l’écoutait volontiers, elle continua à raconter. Un jour, Jésus était arrivé dans une région désertique et inculte. Les quelques figuiers qui se trouvaient là portaient de rares feuilles et aucun fruit. Alors Jésus avait fait un geste de la main : le sol s’était instantanément couvert d’une fraîche verdure et des figues s’étaient mises à pousser sur les arbres. A mesure qu’elle racontait, la vieille femme s’était de plus en plus animée et avait sans cesse affirmé l’authenticité de son récit.

Jean et Marie se regardèrent, consternés ; Phrygée, quant à elle, se mit à rire. Il lui paraissait vraiment très étrange que Luc répétât tout à fait sérieusement pareilles inepties. Il les regarda l’un après l’autre, puis il avoua qu’il n’avait pas considéré cette histoire comme entièrement digne de foi. Néanmoins, elle devait bien renfermer une part de vérité. On ne pouvait tout de même pas l’avoir inventée de toutes pièces !

Mais comme ceux qui l’écoutaient ne cessaient de lui répéter que pas un mot de tout cela n’était vrai, il renonça, bien qu’à contrecoeur, à ce récit.

« Qu’en sera-t-il lorsque nous ne serons plus en vie tous les deux ? » demanda Marie tristement. « Que n’osera-t-on pas raconter au sujet de notre Maître si dès à présent, en un zèle trop crédule, on commet ce genre d’erreur ! »

« Je me demande comment nous pourrions empêcher une chose pareille », dit Jean. « Nous ne pouvons que nous en remettre à Dieu. Il trouvera bien un moyen de rectifier ce qui est faux. »

Tous deux parlaient de plus en plus souvent de leur mort. Luc affirmait qu’ils étaient certes âgés et faibles, mais que leur santé était bonne et qu’ils pourraient vivre encore longtemps. Cependant, ils aspiraient à partir dans l’au-delà.

Un jour, Timothée franchit le seuil de leur demeure. Leur joie fut grande, car il put leur parler des apôtres qui se trouvaient au loin et leur transmettre les salutations de Paul et de Pierre. C’étaient eux qui l’avaient envoyé chercher les textes des prophètes pour la communauté de Rome, mais il fallait d’abord les transcrire. Il se pourrait donc qu’il reste quelques mois à Jérusalem. Tous voulurent apprendre ce que devenaient les disciples. Timothée les renseigna avec joie, puis il demanda aux disciples de Jérusalem de prendre à leur tour la parole.

Jean dit un soir :

« Maintenant que nous avons eu des nouvelles des frères lointains qui me sont si chers, j’ai l’impression d’être totalement détaché de la Terre. N’en est-il pas de même pour toi, Marie ? » Alors, toute pensive, Marie répondit :

« En effet, moi non plus je ne désire plus rien dans cette vie. Nous sera-t-il permis de revoir notre Maître dans l’au-delà ? »

« L’au-delà » occupait toutes leurs pensées. Ils en parlaient avec joie, comme des enfants pour lesquels la porte d’un domaine inconnu allait s’ouvrir.

Et la porte leur fut ouverte. La nuit suivante, il leur fut donné de la franchir.

Lorsque Phrygée vint les voir au matin, elle ne trouva plus que leurs deux enveloppes inanimées. Bouleversée, elle s’en fut trouver Luc. Il la suivit et s’approcha de leurs couches.

Devant la paix profonde qui inondait leur visage, il ne put se lamenter. Il interdit aussi toute lamentation à Phrygée qui était accablée de douleur.

« Peux-tu leur souhaiter quelque chose de mieux ? » demanda-t-il presque agacé. « Ensemble, ils sont passés dans l’au-delà ; ensemble, ils se présenteront devant le Maître, et II leur souhaitera la bienvenue. »

Puis il se mit en route pour annoncer la mort des deux disciples à la communauté de Jérusalem. Tous les chrétiens vinrent à Béthanie pour inhumer Jean et Marie à côté de Lazare dans le vaste tombeau creusé dans le rocher.

L’inhumation se déroula simplement, mais tout fut fait avec beaucoup d’amour.

IV

S’estimant à présent complètement délaissée, la communauté de Jérusalem décida de faire demander à Pierre et à Paul, par l’intermédiaire de Timothée, de revenir parmi eux. Leur travail et leur collaboration seraient désormais plus utiles dans leur pays qu’à l’étranger. Mais Timothée ne partit pas tout de suite, et pendant ce temps, à Rome, le travail de Pierre et de Paul progressait allègrement.

Néron s’était rendu en Parthie où avaient éclaté des combats aussi violents qu’en Arménie. Il souhaitait voir une bataille de ses propres yeux. Le sang versé exerçait toujours sur lui le même horrible attrait que jadis lorsqu’il avait froidement fait tuer sa mère et son épouse.

Or, sous l’influence de Paul, il avait été pendant si longtemps « apprivoisé », comme il disait, que pour changer, il avait envie de voir autre chose, d’entendre autre chose. Poppée l’accompagnait. Elle en avait exprimé le désir et l’empereur avait accepté. Ainsi, chemin faisant, il avait de quoi passer le temps.

Paul avait appris cette nouvelle avec tristesse. Néron avait été assez lâche pour ne pas l’en informer. Ce n’est qu’après son départ qu’arriva un message adressé à Paul pour lui faire part de ce voyage. Tout ce qu’il avait entrepris pour cette âme serait-il vain ?

Dans son désarroi, il en parla à Pierre. Celui-ci dit qu’il connaissait le caractère superficiel de Néron et qu’il ne s’était attendu à rien d’autre.

« Pourquoi tenais-tu tant à convertir l’empereur ? » lui dit-il en se moquant légèrement de lui. « Va voir les gens simples, et tu trouveras des âmes ouvertes. »

Paul ne répondit pas. Il savait que Dieu Lui-même l’avait envoyé vers l’empereur. Cependant, il avait lui aussi appris à connaître des gens simples et pas seulement des nobles et des érudits. Il y avait parmi eux un gardien chargé de s’occuper des lions et des autres fauves que Néron entretenait pour son plaisir.

Un jour, il emmena Paul aux arènes. Comme Néron était absent, il ne risquait rien. D’ordinaire, l’empereur n’aimait guère que l’on vînt regarder ses fauves.

« Ils sont beaux », dit spontanément Paul en voyant les énormes bêtes dans le vaste enclos. Les lions connaissaient leur gardien et attendaient leur nourriture.

« Bien sûr qu’ils sont beaux, » répliqua Sergius, « mais ils sont forts et très féroces. Si l’on songe à l’usage qu’en fait l’empereur, on aimerait mieux les tuer pendant qu’il est au loin. »

Paul demanda ce qu’il en faisait et s’entendit répondre que l’empereur faisait lutter avec les fauves, au péril de leur vie, des esclaves ou des fonctionnaires tombés en disgrâce. Naturellement, les animaux étaient toujours victorieux. Accompagné de ses courtisans, l’empereur assistait à ce combat inégal et y prenait plaisir.

Paul, horrifié, se demanda si c’était bien le même Néron qui, en tant qu’élève, l’avait écouté. Comme la contradiction était effroyable dans cette âme !

A partir de ce jour, Paul ne voulut plus voir les animaux. Des pensées trop épouvantables s’y rattachaient.

On ne vint pas à bout de la révolte en Arménie et en Parthie. Il en résulta une véritable guerre de frontière qui risquait de traîner en longueur. Mais Néron prenait plaisir à la vie des camps et à ses nouvelles expériences. Il ne songeait pas à retourner à Rome.

Lorsque les rigueurs du climat rendirent la vie en plein air trop pénible, il entreprit avec Poppée et ses courtisans un voyage à Athènes où il se réjouit de toute la beauté que ce lieu lui offrait.

A Rome cependant, les chrétiens étaient comme soulagés d’une oppression funeste. Ils se réunissaient dans différentes maisons au lieu de se retrouver dans les catacombes. Maintes personnes qui avaient autrefois caché craintivement leur croyance se montraient à présent ouvertement à leurs côtés.

Ils portaient de façon visible l’insigne qui leur permettait de se reconnaître entre eux : un ruban sur lequel était peint, écrit ou brodé le signe zodiacal des poissons. Malgré cela, ils ne provoquaient aucun scandale, leur discipline étant sévère et leur obéissance absolue.

Un jour, cette nouvelle se répandit dans la ville :

« L’empereur approche ; il n’est plus qu’à une journée de voyage. »

Rome recommença à trembler. Telles des souris, les chrétiens disparurent sous terre.

Calme et impassible, Paul allait son chemin. Après avoir longtemps prié avec ferveur, il avait compris qu’il ne devait pas se montrer au palais avant que Néron ne l’envoyât chercher.

Mais l’empereur ne donna pas signe de vie. Il organisait des fêtes brillantes où la débauche était pire que jamais. L’immoralité s’étalait à sa cour, si bien qu’il n’avait pas de temps pour Dieu et la Vérité.

Un jour qu’il parcourait la rue principale dans son char de courses, qu’il conduisait personnellement, il vit Paul. Le regard de l’apôtre se posa ouvertement sur Néron, qui détourna la tête. Qu’était donc devenu cet homme ? Les dernières traces de sa beauté passée s’étaient effacées. Son regard vacillait. La démence s’était glissée dans ses actes.

Déguisé pour éviter d’être reconnu, il se rendait chaque soir dans les tavernes et se livrait à des beuveries avec des gens qui appartenaient au rebut de l’humanité. Ils comprirent bientôt qui était celui qui les régalait et les incitait à toutes sortes de mauvaises plaisanteries. Mais ils le laissèrent croire qu’ils l’ignoraient.

Un soir, il chargea certains d’entre eux de mettre le lendemain le feu à Rome aux quatre coins à la fois dès que le soleil serait couché. Il voulait observer depuis son palais l’endroit où l’incendie serait le plus intense. Il leur donna une journée entière pour amasser des matières facilement inflammables. Celui dont le secteur serait le plus beau recevrait une bourse pleine d’or en plus du prix convenu.

Le lendemain soir, un cri d’effroi retentit à travers la ville :

« Rome brûle ! »

Les nouvelles arrivaient de tous côtés ; le feu faisait rage partout en même temps. Du haut d’un balcon offrant une vue dégagée, l’empereur regardait les flammes en hurlant et en se tordant de tous ses membres. Il exultait, et en même temps il avait peur.

Après des efforts indicibles, on réussit à maîtriser l’incendie. Le feu avait fait de nombreuses victimes, et bien des gens y avaient laissé la vie. Des objets irremplaçables avaient été la proie des flammes. On commença à émettre des suppositions sur l’origine de cet incendie. Il ne faisait aucun doute qu’il avait été allumé volontairement.

Néron s’était enfermé et ne recevait personne. C’est ainsi qu’il n’avait pas encore pu remettre la bourse promise. Mais les incendiaires s’en donnaient à cœur joie avec le salaire déjà reçu et, dans leur ivresse, ils racontaient qu’ils recevraient encore davantage.

Une idée se répandit lentement parmi le peuple :

« L’empereur a fait incendier Rome ! »

Plus on le niait, plus le peuple en était convaincu. Finalement, ces rumeurs parvinrent jusqu’à la cour.

Les favoris de Néron, qui avaient eu les mêmes doutes, furent saisis de crainte. Il fallait empêcher à tout prix que le peuple pût accuser son empereur d’être à l’origine de cet incendie, fût-ce cent fois vrai ! Il fallait trouver quelqu’un d’autre sur qui ce crime pourrait être rejeté. On réfléchit, on médita, et finalement, lorsqu’on crut avoir trouvé une solution, l’empereur fut prévenu du danger qui le menaçait.

La frayeur qui s’empara de lui et la peur insensée qu’il manifesta prouvèrent clairement aux hommes que toutes leurs suppositions étaient justifiées. Ils s’en réjouirent : l’empereur était en leur pouvoir à présent et ils seraient désormais les maîtres de Rome. Ils lui révélèrent obligeamment la solution qu’ils avaient trouvée : il fallait accuser les Juifs et les chrétiens d’être les incendiaires et les juger avant qu’ils n’aient le temps de se défendre. Qui s’inquiéterait par la suite qu’il y ait quelques personnes de croyances différentes de plus ou de moins ?

L’un des courtisans rendit Néron attentif au danger que représentaient les chrétiens qui disaient que leur Dieu était le Maître du monde. Néron accepta tout, absolument tout, bien qu’il sût parfaitement ce qu’il en était. Tout ce qui arriverait lui était égal pourvu que le peuple cessât de l’accuser d’être un incendiaire.

Les courtisans rédigèrent un décret selon lequel tous les chrétiens devaient être arrêtés la nuit même dans leurs lieux de prière souterrains et dans leurs demeures. Néron signa ce décret avant de se rendre à un festin de débauche que les courtisans avaient fait préparer à son intention.

Pendant la nuit, les soldats parcoururent donc Rome et arrêtèrent ceux qu’ils trouvèrent. Paul parlait à ses frères dans un endroit particulièrement secret. Aucun bruit extérieur ne pénétrait jusque-là. Ils auraient été en sécurité s’ils étaient restés toute la nuit dans cette caverne obscure, mais ils ignoraient tout et sortirent innocemment dans la rue. Alors tous furent pris et jetés en prison tandis que le peuple criait à tue-tête et vociférait :

« Incendiaires ! Incendiaires ! »

Ils restèrent entassés dans des cachots des jours durant. On amenait quotidiennement d’autres chrétiens. De mauvais instincts s’étaient réveillés chez les soldats et parmi le peuple, ce qui les poussait à envoyer toujours davantage de gens à la mort. Ils enchaînaient tous ceux qui les gênaient, sans faire la moindre distinction et sans leur demander s’ils étaient vraiment chrétiens ou Juifs.

Paul se trouvait dans l’une des prisons les plus horribles ; Rufus était à côté de lui. Ce fut une grande consolation pour tous deux d’être réunis dans la détresse et de pouvoir prier en commun. Pendant la journée, Paul priait souvent à haute voix ou prenait la parole pour consoler ses compagnons d’infortune. Il ignorait le sort qui l’attendait. Avec calme, il recommanda son âme à Dieu et fit ce qu’il put pour encourager aussi les autres. Il se rappela avec gratitude que Timothée était à Jérusalem et qu’ainsi, il échappait à ces atrocités.

Pierre se trouvait-il à Rome pendant cette nuit d’horreur ? Combien de temps s’était donc écoulé depuis lors ? Deux jours ? Une semaine ? Personne n’aurait pu le dire au juste. L’atmosphère devenait de plus en plus lourde et de plus en plus intolérable. Un homme assez jeune s’écria soudain :

« Dieu, si Tu veux nous aider, fais que nous puissions mourir bientôt ! »

On informa Néron que ses ordres avaient été exécutés et que Rome était débarrassée des chrétiens et des Juifs. Que devait-on faire des prisonniers ?

« Ne me le demandez pas ! » dit Néron d’une voix plaintive. « Ne pouvez-vous trouver une solution pour nous délivrer au plus vite de toute cette engeance ? »

L’un des courtisans proposa alors de faire tuer les femmes, les enfants et les êtres faibles. Par contre, on pourrait faire lutter les plus forts contre les fauves au péril de leur vie. Cela représenterait une nouvelle distraction.

Le mot distraction enflamma l’âme de Néron. Sa vie actuelle était bien terne. L’angoisse tendait vers lui ses griffes acérées. Ce serait bien agréable de pouvoir s’occuper d’autre chose pour changer, de voir autre chose. Il accepta avec enthousiasme tout ce qu’on lui proposait, et les hommes partirent donner les ordres nécessaires.

C’est alors qu’il se souvint de Paul ! Il avait probablement été fait prisonnier lui aussi. Il ne fallait pas qu’il mourût ! Soudain, il éprouva pour Paul un sentiment semblable à de l’amour.

Il cria bien haut aux hommes : « Écoutez, séparez des autres prisonniers l’homme qui s’appelle Paul. Je veux encore lui parler avant sa mort. Il ne doit subir aucun tort jusqu’à ce que je ne l’aie vu ! »

Et tout fut fait comme il l’avait ordonné. Le massacre des chrétiens fut horrible. Ils mouraient en héros, louant Dieu, même sous les plus atroces souffrances. Dans le cœur de maints soldats tomba la semence de la Vérité divine lorsqu’ils virent ce dont la foi était capable.

On avait trouvé Paul et on l’avait conduit dans un cachot à part. Personne ne lui en expliqua la raison. Avant de partir, il pria avec ses amis, les exhortant à rester inébranlables en l’honneur de Dieu. Quant à lui, il se prépara intérieurement à mourir.

Dans son nouveau cachot, qui était très petit et terriblement étouffant, il était surveillé par toute une troupe de soldats. Il voulut leur parler, mais ils étaient déjà ivres et couvrirent sa voix en braillant. Il pria en silence, et soudain il ne put s’empêcher de penser au grand nombre de ceux qu’il avait envoyés jadis à la mort. Lui serait-il maintenant permis d’expier ?

Une grande joie l’envahit. Il avait sa tablette et son style avec lui et il essaya de rédiger un message d’adieu dans cette lumière incertaine.

« Chers frères, » écrivit-il, « ce sont les derniers mots que je peux vous écrire. Je meurs volontiers, car je sais en qui je crois et où je vais. Je sais qu’il m’est donné de racheter mes péchés et d’entrer dans la splendeur. Jésus-Christ a préparé une place pour moi. Qu’il soit loué, glorifié et honoré pour toute l’éternité ! Mais vous …»

Il ne put continuer. Une voix lui parla :

« Paul, tu as livré un bon combat sur Terre. Dorénavant, il te sera permis de servir ton Seigneur et Maître là-haut. »

La tablette et le style tombèrent des mains de l’apôtre. Son âme fut détachée doucement, et des messagers de Dieu s’en saisirent. Mais le bruit que la tablette avait fait en tombant avait attiré l’attention des soldats, qui virent chanceler le corps de Paul.

« Il ne va tout de même pas mourir ? » s’écria l’un de ces rustres. « Peut-être sa tête est-elle mise à prix ? Je veux me réserver au moins cette récompense. »

Il s’avança alors, tira son sabre et trancha la tête du corps inanimé de Paul.

« Vous êtes témoins », s’écria-t-il, « que j’ai tué cet incendiaire ! »

Les combats avec les fauves avaient duré plusieurs jours. Néron les suivit au début avec une vive attention, puis il en fut tellement écœuré qu’il interdit de les poursuivre. Si au moins les victimes avaient demandé grâce, si au moins elles avaient gémi ! Mais, courageusement et avec calme, elles allaient au-devant d’une mort certaine. C’était ennuyeux à la fin !

Il se souvint alors de Paul et demanda s’il avait été épargné. On lui répondit par l’affirmative. Il désira le voir. On l’envoya chercher et l’on apprit qu’il était mort. Que devait-on dire à Néron ? Peut-être réussirait-on à lui faire oublier son désir d’avoir un entretien avec l’apôtre. Il fallait du moins essayer.

Sur ces entrefaites, Pierre, qui avait été absent de Rome pendant les derniers jours, y revint. Lorsqu’on l’informa de ce qui s’était passé entre-temps, il en fut horrifié. Où était Paul ? Après avoir longuement cherché et questionné, il apprit qu’il avait été décapité en prison. Une immense indignation s’empara de lui. Il voulait aller trouver Néron au palais, mais il fut arrêté avant d’avoir pu mettre son projet à exécution. On fit part à l’empereur de cette nouvelle et précieuse capture. Cela lui ferait peut-être oublier Paul.

Néron fit venir le disciple. Un vieil homme hâlé par les intempéries entra. Le luxe alentour ne sembla pas faire la moindre impression sur lui. Néron allait lui adresser la parole lorsque Pierre le devança en lui demandant avec véhémence :

« Qui es-tu, Néron, pour oser faire tuer le meilleur disciple de notre Maître ? »

Une frayeur subite saisit le cœur de l’empereur. Il ne remarqua pas avec quel manque de respect la question avait été posée, mais il interrogea à son tour :

« De qui parles-tu ? »

« Je parle de Paul que tu connaissais bien. Il aurait mérité de ta part un meilleur sort que celui d’être tué en prison ! »

« Homme, dis-tu la vérité ? » s’écria Néron épouvanté. « Je l’ai fait arrêter pour le sauver. J’ai donné l’ordre formel de l’épargner ! »

Pierre comprit que l’empereur disait vrai, mais il n’en fut pas impressionné pour autant. Il était trop indigné.

« Débauché que tu es, assis sur le trône impérial, » dit-il en l’apostrophant, « des centaines d’êtres de valeur ont été massacrés sur ton ordre ! Dieu te demandera d’en rendre compte au jour du Jugement. N’as-tu pas peur de te présenter devant Son trône de Juge ? Tu connaissais Son existence. Paul t’avait parlé de Lui. Tu n’as aucune excuse. Le Jugement te frappera dans toute sa rigueur. Tu ne trouveras plus aucun repos sur cette Terre. Quoi que tu fasses, ceux que tu as assassinés et massacrés te poursuivront. Tu ne peux leur échapper. Et plus tard ? Je suis saisi d’horreur en pensant à ce qui t’attend plus tard ! »

Comme paralysé, Néron avait subi ce flot de paroles. Il trouva enfin la force de se défendre. « Je déplore la mort de Paul, » dit-il d’une voix tremblante. « Cependant, il ne faut pas que tu restes vivant pour me la rappeler ! »

Il éleva la voix pour appeler ses serviteurs :

« Emmenez-le ! Jetez-le en prison ! Demain, c’est vendredi. Votre Jésus n’a-t-Il pas été crucifié un vendredi ? Eh bien, tu subiras le même sort ! Le disciple ne doit pas être mieux traité que son maître. »

Et, avec un éclat de rire dément, l’empereur se détourna.

Pierre fut emprisonné et crucifié le lendemain en dehors de la ville. Il se réjouit de pouvoir subir la même mort que son Maître. Peut-être pourrait-il par là expier en partie son reniement de jadis ?

Mais lorsqu’il se trouva devant la croix sur laquelle il allait être hissé, il demanda à être crucifié la tête en bas. Il préférait augmenter ses tortures plutôt que mourir de la même manière que Jésus.

D’une voix forte, il dit aux hommes qui entouraient en rangs serrés le lieu du supplice :

« Nous, vous pouvez nous tuer, mais la Vérité vivra, et c’est elle qui conquerra le monde ! Toutefois, seul celui qui est ouvert à la Vérité entend sa voix. Et ceux qui s’ouvrent à elle seront préservés jusqu’au Jugement, jusqu’à ce que Celui qui est promis vienne sur les nuées pour juger le monde !

Maître, je Te vois ! »